H20 dans le Gaz, ou l’urgence d’une situation

Á l’aune des dernières élections qui auront consacré la progression des mouvements écologistes au Parlement Européen (les députés verts, toutes tendances confondues, représentent dorénavant un peu plus de 7% des sièges) et la visibilité croissante des thèmes environnementaux dans les médias (comme récemment la diffusion du superbe documentaire ‘Home’), l’écologie semble être maintenant et fort heureusement la préoccupation d’un plus grand nombre de citoyens.

Au-delà des grandes questions que posent aujourd’hui le réchauffement climatique et ses conséquences néfastes sur nos vies à tous, il existe néanmoins une autre urgence encore trop méconnue des États en général et du monde développé en particulier : l’explosion de la population mondiale et la formidable augmentation de ses besoins en eau dans les proches années à venir. Dans sa clairvoyance et en déclarant que ‘la personne qui résoudrait le problème de l’eau dans le monde devrait recevoir deux Prix Nobel, l’un pour la science et l’autre pour la paix’, le président John Kennedy a ainsi fort bien résumé la situation alarmante à laquelle nous sommes tous désormais confrontés.

Un constat alarmant

Les déséquilibres hydriques qui frappent aujourd’hui durement certaines régions du globe sont si importants que la communauté internationale, et notamment nos économies développées, devraient rapidement prendre conscience de ces inégalités, et tenter d’y trouver alors des solutions viables si l’on veut éviter le pire. Á court terme, et eu égard aux tensions importantes qui existent déjà entre certains pays (comme par exemple la Turquie et la Syrie qui se disputent l’exploitation de l’Euphrate), ces hostilités risquent fort d’engendrer de nombreux conflits régionaux et menacer ainsi notre sécurité collective. Ce phénomène, ainsi directement lié au stress démographique et à l’augmentation de l’activité humaine, ne saurait donc être ignoré si l’on veut prévenir ces conflits dont la violence n’aura alors d’égale que la complexité géopolitique de leur origine.

La crainte de la déshydratation des rouages économiques, dont l’eau reste un des éléments essentiels, a de tout temps réveillé les instincts légitimes de survie des uns, et forcé naturellement les ambitions de puissance des autres. La courte histoire de l’humanité nous montre en effet que les guerres liées à l’eau furent très nombreuses, et si l’on peut remonter jusqu’en 2500 avant Jésus Christ pour que les premiers conflits ‘hydrauliques’ voient le jour (les cités mésopotamiennes de Umma et Lagash se sont à cette époque combattues pendant une centaine d’années pour le contrôle du Tigre et de l’Euphrate), les différends qui opposent aujourd’hui l’Israël à la Palestine quant à l’usage des aquifères situés en Cisjordanie, prouvent que l’élément liquide peut alors facilement devenir un obstacle la paix, et donner naissance à des confrontations d’ordre non seulement structurel, mais aussi ethnique.

Á une époque où les irrigations comptent désormais pour plus de 2/3 de la consommation mondiale d’eau et où la demande pour les matières agricoles ‘irriguées’ va irrémédiablement s’accentuer pour représenter plus de 60% des besoins en denrées alimentaires d’ici une quinzaine d’années (selon le World Water Council, il faut en effet 1 000L d’eau pour récolter 1kg de blé et 13 000L pour obtenir 1kg de viande), nous sommes donc en droit de nous demander ce qui pourrait arriver si la tendance actuelle venait à se confirmer. La population mondiale a en effet plus que doublé depuis le début du siècle dernier, et même si les actuelles projections démographiques parlent d’une décélération due à une baisse générale de la fécondité (augmentation annuelle de seulement 1,2%), nous serons certainement plus de 9 milliards d’êtres humains d’ici 2050. Si ce n’est ce stress démographique qui entraînera fatalement une déplétion progressive des ressources hydrauliques fossiles (qu’il faudra alors exploiter avant qu’elles ne soient ‘épuisées’ par les changements climatiques, sachant que 90% des réserves sous-terraines proviennent des réserves de surface générées par les formations aquifères ou solides), l’inégalité qui existe déjà entre pays développés et pays émergents va donc s’accentuer et irrémédiablement devenir une source croissante de tensions. Dressant un tableau des plus sombres de ses récentes recherches, les Nations Unies estiment en effet que cette distribution inéquitable des ressources hydrauliques conduirait en 2025 près de 2 milliards de personnes à n’avoir aucun accès à l’eau, tandis que 60 % des populations des pays émergents seraient alors condamnées à utiliser de l’eau insalubre et impropre à la consommation (rapport de l’UNEP-2007).

En relisant donc quelques pages de notre histoire collective et partant de ce constat, on peut aisément comprendre que le contrôle des ressources en eau tend aujourd’hui à devenir un enjeu géostratégique majeur, et que le partage équitable de cet élément essentiel à la vie devienne alors un sujet qui mériterait réflexions.

La quadrature d’un cercle infernal

Face à cette situation alarmante, de nombreuses initiatives d’ordre purement ‘protocolaire’ ont alors été prises à l’échelle mondiale dans l’espoir de responsabiliser les États et de protéger ainsi les populations. Si l’amendement en 1977 des Protocoles I et II de la Convention de La Haye font en effet état de la nécessité de protéger les installations nécessaires à la vie des civils en cas de conflits (barrages, centrales électriques, ouvrages d’irrigation), il faut néanmoins attendre le premier Forum Mondial de l’Eau de 1997 et surtout le Pacte relatif aux droits économiques et culturels (CESCR) pour qu’en 2002 l’eau soit explicitement inscrite comme un des droits fondamentaux de l’homme. Ce droit étant désormais ‘officiellement’ acquis, les Forums Mondiaux de l’Eau (comme celui de Kyoto en 2003 ou récemment celui d’Istanbul en mars 2009) qui se succéderont, vont alors tenté de sensibiliser les États à ce problème et leurs feront ainsi adopter de nombreuses résolutions relatives à la gestion internationale de l’eau. Issus de ces colloques et ayant donc pour objectif de garantir aux populations un accès équitable à une eau potable et salubre, ces textes ont ainsi peu à peu formalisé un code de « bonne conduite » qui tend aujourd’hui à encadrer au niveau mondial l’utilisation des ressources hydriques.

Eu égard au périmètre de leur application, ces textes n’auront néanmoins que peu d’impact sur la satisfaction des futurs besoins humains en eau. Les mécanismes qui encadrent ces déclarations ne sont en effet nullement contraignants, et l’appareil juridique qui gouverne la gestion internationale de l’eau souffre donc aujourd’hui d’une double peine. Inhérente au statut contractuel des traités, la faiblesse structurelle de ces résolutions n’engage tout d’abord que les États signataires. Les pays n’ayant pas ratifié ces accords peuvent en effet mener leur propre politique sans se soucier de la situation, tandis que les autres restent légalement libres d’y ajouter des clauses de réserve, et de les adapter ainsi en fonction de leurs besoins. Il n’y a donc pour l’instant aucun moyen structurel de contraindre les États à une meilleure gestion globale de l’eau. Á cette insuffisance dont souffrent les instances internationales, s’ajoute ensuite une faiblesse fonctionnelle qui réduit d’autant plus le champ d’action des organisations compétentes. La complexité des voies de recours à la Cour Pénale Internationale ainsi que l’absence d’un corps légal en charge de ces questions, rendent en effet presque impossible toute action qui obligerait les gouvernements à tenir leurs engagements, et laissent ainsi ces pays libres d’agir comme bon leurs semble.
L’adoption d’un nouveau paradigme structurant nos ressources hydrauliques devrait dès lors être une priorité, et de grands mécanismes politiques pourraient ainsi être mis en œuvre afin de renforcer, à travers la responsabilité des États, le rôle d’une grande organisation internationale dotée de réels pouvoirs.

Perçue comme la première d’une série de règles nécessaires à notre bien-être collectif, l’inscription de l’accès à l’eau comme droit fondamental de l’homme n’a été rendue possible que grâce à l’effort d’un ensemble d’États soucieux alors de protéger leur population et celle des autres. Les gouvernements et leur pouvoir législatif sont ainsi des acteurs essentiels à l’élaboration de nouvelles politiques humanitaires ou environnementales. Á ce titre, et comme le rappellent subtilement les résolutions 12 et 16 du Parlement Européen (Texte B6-0013/2009 soulignant la nécessité d’impliquer les gouvernements dans les processus décisionnels) préalables au Forum Mondial de l’Eau d’Istanbul, il est donc évident que l’État, en tant que législateur local ou international, joue un rôle décisif quant à la bonne gestion des ressources hydriques au niveau mondial.

Prenant acte de ce postulat, on peut donc aisément (et dans l’absolu) imaginer la création d’une instance internationale strictement dédiée à ce problème, et qui fonctionnerait alors sur les mêmes bases que celles du Conseil de Sécurité des Nations Unis. Cette organisation, composée d’États membre et d’ONG compétentes (qui auraient un rôle consultatif officiel), formulerait ainsi des résolutions qui seraient ensuite soumises au vote d’une assemblée générale. Comme toute décision plénière votée par les Nations Unis, ces résolutions auraient dés lors ‘force de loi’ et leur non-respect pourrait donc entraîner des sanctions politiques ou économiques, ou décider d’un recours à la force militaire si des conflits liés à l’eau devaient éclater entre certains pays. Défendue par certaines organisations, comme Green Cross International (fondée en 1993 par Mikhaïl Gorbatchev), cette idée de créer une instance internationale dotée de réels pouvoirs et d’une force spécifique à l’instar des Casques Bleus, pourrait alors aider la communauté internationale à gérer ses conflits et convaincre les États d’adopter des politiques plus coopératives.

Replaçant ainsi les États au centre des décisions, cette instance internationale de l’eau gagnerait en légitimité et aurait donc toutes les latitudes pour contraindre pacifiquement ou par les armes les pays qui ne respecteraient pas ses directives. Au mépris de la souveraineté nationale, les pressions politiques ou l’usage de la force peuvent évidemment paraître disproportionnées, mais l’urgence de la situation et notre avenir collectif sont malheureusement à ce prix, et on ne peut se poser de questions plus longuement.

Si ce n’est cette dimension politique du problème, il y a paradoxalement un autre phénomène contre lequel certaines solutions technologiques ne peuvent pour l’instant apporter qu’un début de réponse : l’abondance de l’eau sur notre planète. Recouvrant ainsi plus de 80% de la surface de la Terre, l’élément liquide est avant tout composé d’eau salée (97,5%) et des 2.5% restant, moins d’1% serait directement exploitable et donc propre à l’usage domestique. Face à cette situation et à mesure que les besoins en eau augmentent, certains pays ont donc massivement investi dans les technologies de désalinisation de l’eau de mer. Découvert dans les années 1960 ce procédé, qui débarrasse nos océans de leur teneur en sel et les transforme en eau douce, semblerait être l’ultime réponse à la déplétion annoncée de nos réserves hydrauliques. Bien que cette méthode éprouvée fonctionne à merveille, les implications techniques d’un tel procédé et les conditions dans lesquelles il est développé sont hélas loin d’être satisfaisantes et posent en effet certains problèmes.

LA SUITE A VENIR

Geoffroy Saint-Grégoire, ouverture.internationale@gmail.com

Ce contenu a été publié dans General. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à H20 dans le Gaz, ou l’urgence d’une situation

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


*