L’après pétrole: Quelle Russie énergétique pour demain?

La chaine ARTE diffuse ce soir une émission qui portera sur la prochaine « guerre » d’influence qui opposera bientôt les pays riverains de l’Arctique pour le contrôle des hydrocarbures que son sous-sol renfermerait. Ce prochain avis de tempête sur le front des grands enjeux stratégiques est avant tout une réponse légitime de ces Etats à la déplétion annoncée du pétrole et la constante augmentation des besoins en énergie des économies développées comme ceux des pays périphériques.

Développée en effet par le géologue américain King Hubbert en 1956, la thèse du fameux ‘Peak Oil’ s’appuyait à l’époque sur le volume des réserves ultimes récupérables du sous-sol américain et prédisait avec 20 ans d’avance de la déplétion des ces dernières à partir de 1973. Depuis, ses travaux ont été modélisés pour que les autorités compétentes puissent évaluer le pic pétrolier à l’échelle mondiale et anticiper avec plus ou moins de précisions ce qui s’imposera inéluctablement à nos économies, sonnant ainsi la fin du monde tel qu’on le connaît.

En 2008 la plupart des spécialistes du secteur pétrolier reconnaissent que le déclin de la production de pétrole est un phénomène contre lequel les nouvelles technologies d’extraction ne pourront rien et au rythme où la consommation mondiale s’accélère il est indiscutable que les jours d’insouciance sont désormais comptés. On estime en effet le nombre de barils nécessaires à alimenter cette soif en énergie à 116 millions par jour d’ici 2040 et selon certains spécialistes de l’OCDE, la projection des productions maximales (et très optimistes) de pétrole pourraient être de 96 millions de barils par jour en 2030 et seulement de 68 millions en 2070. La fin du pétrole abordable est donc désormais toute proche.

Tout comme les autres pays exportateurs, La Russie est donc confrontée à un problème économique de taille et elle va sûrement devoir modifier sa politique énergétique en conséquence pour adapter son secteur et son industrie à l’imminence de ce pic pétrolier mondial (selon les experts, le pic de production en Russie aurait été atteint en 2000). Le pays peut néanmoins compter sur son or bleu dont les volumes importants lui permettront d’être le principal fournisseur d’énergie pour de nombreuses années encore. Dans les conditions actuelles, la déplétion du gaz naturel russe n’est en effet pas annoncée avant 2030, et le Kremlin entend bien mettre tous les moyens en œuvre pour conserver son avantage compétitif et palier à l’épuisement de ses réserves pétrolières, qui inéluctablement aura des conséquences négatives sur sa rente énergétique.

Outre le rachat progressif et planifié des structures d’exploitation et de distribution de sociétés étrangères pour affermir son emprise sur les marchés, le gouvernement russe a depuis peu encouragé les investissements dans son propre secteur énergétique. Rendus possibles par les augmentations successives des prix à l’exportation, les dividendes de plus en plus conséquents de la rente pétro-gazière permettent aux géants énergétiques russes de réinvestir massivement dans la recherche-développement et l’exploration de nouveaux gisements. Gazprom a ainsi l’objectif d’investir dans la production et le transport plus 20 milliards de dollars en 2008 dont 8.7 milliards en prospection de nouveaux sites d’exploitation. Même si pour l’instant ce montant ne suffira peut-être à maintenir les volumes de production au niveau de la demande, ces importantes dépenses confirment néanmoins la volonté de Gazprom d’être au sommet de son industrie et la société planifie aujourd’hui d’investir jusqu’à 45 milliards de dollars en 2010.

Fort de son quasi monopole et de l’appui du Kremlin, il est incontestable que Gazprom deviendra dans un proche avenir le plus grand groupe énergétique au monde et qu’il influencera alors de plus en plus la diplomatie d’une Russie en quête de reconnaissance et de pouvoir.

Afin de conforter sa position de géant de l’énergie, cette «gazpromisation» de la politique russe va dès lors conduire Moscou à récemment surprendre la communauté internationale en mettant en œuvre une audacieuse opération d’exploration des gisements de l’océan Arctique. Lancée en août 2007 et baptisée Arctique-2007, cette expédition, qui consistait à piloter des bathyscaphes à plus de 4 000 mètres de profondeur, avait pour objectif de préciser les limites du plateau continental russe dans la région qui s’étend des îles de Nouvelle-Sibérie jusqu’au pôle Nord. Si les recherches, actuellement en cours, prouvent que les dorsales Lomonossov et Mendeleïev, qui vont jusqu’au Groenland, constituent un prolongement géologique du plateau continental russe, la Russie pourrait réclamer les droits à l’exploration de 1,2 million de kilomètres carrés supplémentaires en Arctique et de mettre en valeur des gisements colossaux de pétrole et de gaz dans le triangle Tchoukotka-Mourmansk-pôle Nord. Cette mission, qui consiste en une appropriation de facto de cet espace visiblement riche en hydrocarbures, est révélatrice des ambitions du Kremlin de sécuriser ses réserves d’énergie fossile et d’asseoir un peu plus son poids énergétique sur la balance des marchés internationaux. Repoussant ainsi les frontières de son territoire et spéculant sur les immenses réserves d’énergie que renferme l’Arctique (Selon les géologues, le fond marin de l’Arctique recèlerait jusqu’à un quart des réserves mondiales de pétrole et de gaz), cette spectaculaire exploration s’accompagnera peu de temps après d’exercices aériens militaires qui, au-delà de leur porté médiatique évidente, ont eu pour objectif de préparer la défense de cet région contre les ambitions des autres puissances (le Canada et les États Unis étant les principales).

Cette diplomatie dictée par les intérêts énergétiques d’un pays soucieux de consolider sa position ne saurait néanmoins s’affranchir des réalités économiques actuelles et des nouvelles alliances que les différents blocs souhaitent maintenant former pour répondre collectivement et de façon ordonnée aux grands enjeux de ce début de siècle. Forte de sa puissance énergétique, la Russie reste toutefois très dépendante de ses marchés et de leurs besoins en gaz et en pétrole. La dépendance est en effet réciproque: 75 % des recettes d’exportation du secteur énergétique russe proviennent de l’Union européenne et la quasi totalité des gazoducs sont actuellement dirigés vers l’Europe. Le pays devra alors diversifier ses activités industrielles et Il faudra donc à moyen terme que la Russie s’engage dans une politique étrangère plus ouverte et qu’elle tende la main à des interlocuteurs qui hésitent encore à l’accepter au sein des grandes organisations régissant le commerce mondial.

L’Organisation Mondiale du Commerce, qui a pourtant accepté l’adhésion de la Chine en 2001, pourrait ouvrir à la Russie d’intéressantes perspectives de développement commercial et industriel, et le Kremlin a donc tout intérêt d’accentuer sa pression pour y rentrer et dès lors diversifier ses activités pour ne pas dépendre exclusivement de son énergie. Créée en 1992 à l’initiative de la Turquie et ayant pour objectif de renforcer les liens stratégiques et commerciaux de ses membres (au nombre de 12), l’Organisation de la Coopération Économique de la Mer Noire n’a par exemple toujours pas ouvert ses portes à la Russie. Peinant aujourd’hui à faire oublier ses ambitions de grandeur et sa prédation énergétique, le gouvernement russe devrait envisager d’infléchir sa politique vis-à-vis de ses voisins pour négocier son adhésion et tisser des liens moins conflictuels avec ses partenaires afin de trouver un juste équilibre entre ses ambitions et ses futures moyens industriels.

Pour une Russie qui voudrait renforcer ses positions et son pouvoir de négociation sur la scène internationale, il reste néanmoins au pays une dernière carte à jouer : l’eau. La Russie, qui possède en effet la plus grande réserve d’eau douce au monde (ses réserves représentent 22% du volume mondial), n’en consomme finalement que 2% et elle pourrait donc dans un proche avenir devenir une autre puissance ayant transformé son eau en nouvel or bleu de substitution. La demande mondiale en eau pourrait en effet augmenter de 64% d’ici à 2050 et dans un monde inégalitaire où l’accès à l’eau devient une préoccupation de plus en plus stratégique, la Russie pourra alors faire valoir cette nouvelle manne hydraulique pour redéfinir ses ambitions, continuer à tirer légitimement profit de ses richesses et jouer un tout autre rôle sur la scène internationale.

Geoffroy Saint-Grégoire – ouverture.internationale@gmail.com

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